Stress et alcool: le cercle vicieux
Boire un verre pour se déstresser n’est pas problématique. Ce qui l’est, en revanche, c’est d’en faire une habitude ou de boire excessivement. Le point avec le Dr Pascal Gache, médecin alcoologue, responsable de l’Unité d’alcoologie aux HUG.
Propos recueillis par Patricia Bernheim
Quels liens a-t-on pu établir entre le stress et la consommation d’alcool ?
Les liens entre le stress psychosocial, ou l’anxiété, et la consommation d’alcool sont solides et serrés. Plus la part de stress augmente, plus la probabilité que les gens boivent de manière excessive augmente.
Lorsque les personnes boivent déjà et qu’elles ont des outils pour limiter leur consommation, ou si leur consommation est contrôlée, le stress génère un retour à une situation problématique.
Enfin, les personnes fragiles qui vivent une répétition de stress élevé vont recourir à l’alcool plus facilement. Ce n’est pas problématique à court terme, mais cela le devient à long terme.
La consommation d’alcool est-elle elle-même génératrice de stress ?
Dans un premier temps, les personnes qui boivent pour mieux gérer le stress sont soulagées. Mais au bout du compte, elles vivent un effet rebond, elles sont encore plus stressées. Sur le long terme, ce phénomène s’accroît et elles recourent de plus en plus à l’alcool.
Ce sont des cercles vicieux tout à fait diaboliques. L’alcool augmente le stress perçu et fait baisser la confiance que l’on a de le gérer.
Conséquence : les gens vont de plus en plus mal.
A quelle problématique faut-il s’attaquer en premier, le stress ou l’alcool ?
Dans un premier temps, on incite le patient à arrêter de boire pour éviter d’aggraver sa situation psychique et physique. Nous lui proposons un break, ce qui va diminuer la perception du stress. Dans un deuxième temps, lorsque la période de sevrage est passée, nous opérons une sorte de diagnostic cognitif autour du stress et de la manière de le gérer. Nous passons en revue toutes les idées que le patient a autour du stress et de l’alcool.
Le but de la thérapie est de restructurer ce système de pensées en incitant le patient à générer de lui-même des pensées alternatives. Il passe alors d’un cercle vicieux à un cercle vertueux. La tendance est inversée : il retrouve confiance en lui, donc il gère mieux le stress et, comme il est mieux armé, il génère moins de stress.
La thérapie donne des outils, différents pour chacun puisque la perception du stress est quelque chose de très individuel. C’est une lecture personnelle de la vie : le même événement peut être vécu de manière très stressante par une personne et pas du tout par une autre.
En quoi consiste le sevrage ?
Le sevrage est basé sur un soutien psychologique éventuellement combiné à des médicaments. C’est moins compliqué que celui de la cigarette parce que l’alcool est une substance moins addictogène: sur 100 buveurs, 7 sont dépendants.
C’est aussi une drogue qui n’accroche pas vite : 10 à 15 cigarettes suffisent pour devenir dépendant au tabac. Avec l’alcool, cela peut mettre 10 à 15 ans. Pendant ce laps de temps, les personnes n’ont que les aspects positifs, donc elles ont le sentiment de maîtriser la situation.
Quels sont les déclencheurs d’une démarche de sevrage ?
Le facteur de stress psychosocial est l’un des arguments pour sortir du cercle vicieux. C’est souvent le stress de la vie quotidienne qui incite les personnes à faire autrement. Mais le moment où ça bascule est très individuel. C’est impossible de savoir.
Y a-t-il des personnes plus en danger que d’autres ?
Il n’y pas de personnalité type. Le phénomène touche aussi bien les ouvriers que les cadres parce que l’on peut tous traverser des moments difficiles dans la vie.
Les hommes et les femmes sont-ils égaux face à cette problématique ?
Dans les centres d’alcoologie, on compte trois hommes pour une femme. Les femmes consomment moins et sont moins sujettes à devenir dépendantes. Elles ont plus facilement recours à des tranquillisants qu’à l’alcool.
Quels sont les facteurs synonymes de danger ?
Les pertes ou les changements importants comme le décès d’un proche, une rupture, un déménagement, la perte d’un emploi, un enfant qui quitte la maison, des dettes ou un environnement ennuyeux.
On peut aussi ajouter la consommation excessive d’alcool ou de drogues d’un proche, le fait d’avoir été victime de violence sexuelle, physique ou émotionnelle ou un problème de santé physique ou mentale.
Les liens stress-alcool expliquent-ils aussi le phénomène des binge drinking (les bitures expresses) ?
Le fait que les jeunes boivent de l’alcool n’est pas franchement nouveau. Ce qui l’est, en revanche, c’est cette idée d’être le plus vite possible totalement défoncé. Le corps médical n’est pas sûr de bien comprendre ce qui se trame…
Il y a le stress, la perte de repères sociaux, le besoin de se faire des frayeurs, de transgresser des interdits. C’est un phénomène sociétal : on le retrouve plutôt chez les familles aisées. Il est aussi lié à la disparition des idéologies.
A d’autres époques, on était chrétien ou pas, communiste ou pas, et on défendait ses idées. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Les repères idéologiques ont été remplacés par la télévision et la consommation. Il n’y a plus d’enjeux ni de combats.
Alors, les mœurs dissolues de la cour s’étendent au peuple. Ce qui était l’apanage d’une minorité se généralise. Parmi ces jeunes, certains deviendront accros et s’en sortiront mal. Ils ne sauront pas faire face aux événements de la vie.
A quel moment devrait-on s’inquiéter de sa propre consommation ?
Si on boit pour surmonter les problèmes de l’existence, c’est que quelque chose ne va pas. Par ailleurs, abuser de l’alcool pour aller mieux ne règle pas les problèmes et aggrave au contraire la situation en entraînant de nouveaux problèmes d’ordre financier, médical ou relationnel. Dans les deux cas, on peut recommander la consultation d’un spécialiste.
Consultation d’alcoologie des HUG : 022 372 95 37